82% des salariés considèrent que l’entreprise est responsable de leur bonheur. Là où le travail était historiquement synonyme de sueur et de labeur, on attend désormais qu’il soit source de joie. Est-ce un caprice passager ? Probablement pas. Une redéfinition profonde du travail vers des valeurs humanistes est en cours.
Le travail est en crise de sens
Aujourd’hui, une personne sur deux souhaite se reconvertir professionnellement avec comme raisons principales “l’ennui” et “le manque de sens”. De telles statistiques montrent que nous ne sommes plus sur un phénomène marginal, mais bien sur un problème systémique. Les nouvelles attentes des personnes ne sont plus compatibles avec le monde du travail tel qu’il est aujourd’hui. Cette crise met en avant les trois réductions fondamentales qu’a connu la valeur du travail au cours de l’histoire :
1. Travail = argent 🤑
Travailler c’est transformer quelque chose. En physique mécanique, le travail est une force qui provoque un déplacement. Si avec ma voiture je déplace quelqu’un de la gare à son domicile, j’effectue un travail. Il n’est peut-être pas directement utile pour moi, mais il a une grande valeur pour cette personne. Alors, pour compenser ce décalage on attribue au travail une valeur virtuelle et universelle : l’argent. Cet argent, je pourrai le convertir la semaine d’après en un autre travail, celui par exemple d’un artisan qui va déplacer et transformer de la farine et de l’eau pour faire un bon pain. La réduction du travail en valeur monétaire (60 ans de travail des économistes) est formidable puisqu’elle connecte et libère les énergies entre nous tous. Nous devenons une force de travail collective qui transforme le monde. Mais l’équation travail = argent est durable et vertueuse si et seulement si le travail continue de contribuer à notre bonheur et nos besoins primaires.
2. L’argent gouverne le travail ⚖️
Le travail devient laborieux dès lors qu’il n’est plus aligné avec qui nous sommes. La recherche du bonheur est alors déplacée du travail lui-même vers l’argent. Il est remis à plus tard dans une valeur monétaire virtuelle à dépenser dans les loisirs ou la consommation. C’est là que l’on rentre dans une foire aux biais cognitifs dont il est difficile de sortir.
Du fait d’un travail désaligné avec ses valeurs, une personne peut apparaître malheureuse et plaintive. Cette condition pourrait soulever une indignation généralisée dans la société. Mais ce n’est pas le cas parce qu’elle reçoit un salaire. Le psychologue social Melvin J. Lener montre en effet que si une personne reçoit une compensation pour sa souffrance alors elle n’est pas dénigrée. La société a tendance à penser que la situation est juste alors que dans le fond il existe un malheur intense. Ce raccourci de pensée positionne l’argent comme un remède final à des maux qui sont beaucoup plus profonds, mais sans jamais les résoudre.
Mais notre cerveau n’en a pas fini avec les raccourcis puisqu’il justifie tout seul les inégalités de richesses. Dans un autre protocole expérimental, Lener montre que l’humain a tendance à favoriser celui qui reçoit une récompense alors même qu’il sait que cette récompense a été délivrée au hasard. En clair, plus une personne est riche, plus elle est favorisée, peu importe comment elle est devenue riche puisque la raison du hasard suffit au cerveau. Or le “comment” on devient riche provient normalement du travail. Le cerveau a donc tendance à effacer toute réflexion sur le travail au profit du résultat final qui est la récompense financière. Culturellement, l’argent vient donc définitivement écraser le sujet initial du travail. Il est gouverné par lui.
Le cerveau humain accélère la perte de sens 🧠
Après une valeur du travail qui n’a plus de sens, c’est le fonctionnement même du monde moderne qui perd tout son sens. L’histoire montre en effet que plus les inégalités se creusent, plus les conditions de vie se dégradent pour les plus pauvres. Ils sont ainsi soumis à un stress qui empêche toute introspection sur le rôle du travail dans leur vie et donc toute prise de conscience des biais cognitifs. En effet, les neurosciences montrent chez les personnes pauvres des modifications significatives des régions du cerveau responsables des processus de décision et de contrôle de soi. Plus la pauvreté devient grande, moins la société est capable d’agir pour redéfinir le sens profond et noble que nous donnons au travail par rapport à l’argent. Quant aux plus riches, aucune loi, ni éducation ne les pousse non plus à se rendre compte du piège cognitif qui les sur-légitiment. Riches ou pauvres, nous sommes tous victimes de notre biologie. C’est ensuite, et seulement ensuite, que par cette défaillance nous créons un système économique et social détaillant qui amplifie les biais et entretien notre ignorance et l’impasse dans lequel se trouve le monde actuel.
3. La mort du travail par les machines ⚙️
Avec une telle ignorance des mécanismes biologiques à l’oeuvre nous avons déroulé le tapis rouge aux machines et à la technologie. Le travail est maintenant dérobé aux hommes pour être donné à des machines qui peuvent faire plus, plus vite et mieux pour maximiser le profit financier. Or ce bouleversement provoque un sentiment de panique dans la société puisque chacun peut se sentir tout à coup menacé d’inutilité. Après “la mort de Dieu” par Nietzsche, c’est “la mort du travail” par Google.
Renaissance vers un monde du travail humaniste 🐣
Le cerveau reste bien fait. Quand on le dépossède de quelque chose, alors il se rend compte de sa valeur. La société cherche aujourd’hui des arguments pour qu’on lui rende son travail et elle se met à philosopher. Le travail ne représente plus seulement des pièces sonnantes et trébuchantes, il y a aussi du bonheur derrière, une matière que l’argent n’a finalement jamais su contenir, mais que nous sentons tous à portée de main. La crise du coronavirus est en train d’enfoncer encore plus le clou. Non seulement, le monde a été privé de travail, mais l’argent tout puissant s’est effondré avec le ralentissement économique. Le charme biologique s’est rompu de toutes parts. L’introspection est forcée pour tous, les citoyens comme les gouvernements. Chacun a hâte de reprendre pleinement le travail, mais pas n’importe lequel. Ce ne sera plus celui où la machine est au centre, ni l’argent, mais bien de l’être humain et son épanouissement.
Courage et fraternité ❤️
Dans un monde du travail humaniste un dirigeant ne pose plus seulement la question “qu’est-ce que vous savez faire ?” ou “quel est votre diplôme ?”. Il demande aussi “qu’est-ce que vous aimez faire ? Comment vous sentez vous ? Comment puis-je vous aider ?”. Les valeurs d’épanouissement, de solidarité et de fraternité prennent une dimension prioritaire par rapport à celle du profit financier. Ce renversement des valeurs émerge déjà dans les hautes sphères. En août 2019, le Business Roundtable a pour la première fois mis son engagement pour l’éthique, l’environnement et l’inclusion au même niveau que celui pour ses actionnaires. C’est un événement majeur quand on sait que ce puissant groupe de lobbying rassemble les 200 patrons des plus grosses entreprises américaines dont Apple, JPMorgan Chase et Amazon. Le New York Times titrait alors “Shareholder Value Is No Longer Everything”. Mais du discours à la réalité, c’est peut-être la valeur de courage qui sera la plus déterminante. Le mouvement vers un monde du travail humaniste est déjà en route, mais la rapidité à laquelle nous y tendrons dépendra du courage des dirigeants, mais aussi des managers et des collaborateurs qui rêvent d’un avenir meilleur. Si humanisme il doit y avoir, c’est dès maintenant que doivent se joindre les volontés de tous les rangs qu’un avatar financier avait tendu à séparer.
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