Janvier 1986. La navette Challenger est sur le point de décoller. C’est un jour exceptionnel car pour la première fois, la NASA a décidé d’embarquer un civil à bord. Tous les médias suivent de près l’envol dans l’espace du professeur de lycée.
Le jour du décollage, le constructeur du réacteur de la fusée prévient que la température de l’atmosphère n’est pas bonne. Elle pourrait provoquer la destruction de la navette. L’équipe de la NASA décide quand même de maintenir le décollage à cette date.
Quelques heures après, l’équipage complet et le professeur sont tués dans l’explosion de la navette Challenger.
Pensée de groupe 🤭
Les équipes de la NASA sont censées être l’élite de l’engineering. Une telle histoire paraît donc folle. Comment expliquer une telle incompétence ?
Si l’on prend les lunettes non pas d’un ingénieur, mais d’un anthropologue, on s’aperçoit que la NASA a été victime de la “pensée de groupe”.
Ce phénomène se produit lorsqu’une équipe est victime de biais issus de sa propre dynamique sociale, et qu’elle arrive sur un pseudo-consensus qui la mène à l’échec…
Dans le cas de la NASA, les équipes avaient la liberté de décaler le jour du décollage. Mais ce jour-là, toute l’Amérique les regardait, dont le Président Ronald Reagan. L’influence sociale était considérable.
Face à ça, aucune voix dissidente n’a été écoutée pour repousser la date. Le mouvement de groupe était plus fort que la raison et les alertes du constructeur du réacteur.
Les signes à écouter 👂
Quand vous travaillez en équipe sur des projets stratégiques, la pensée de groupe peut vous coûter très cher. Elle peut vous conduire à :
un mauvais recrutement
le lancement d’un produit qui ne répond à aucun besoin du marché
un choix technologique que vous regrettez un an plus tard
une campagne marketing à 100k€ qui fait un bide etc.
Malheureusement quand l’effet de groupe se produit, il est déjà trop tard. Car le phénomène de foule est totalement irrationnel. Il faut donc l’anticiper et savoir si votre équipe est sujette à la pensée de groupe.
Irving Janis, un psychologue-chercheur à l’Université de Yale, a identifié les symptômes à surveiller :
Votre équipe se croit plus forte que tout et les membres s’en remettent aveuglément à la présupposée supériorité du groupe (cas des élites notamment).
Les avis opposés au groupe sont stigmatisés et on se moque d’eux.
Des membres de l’équipe auto-censurent leurs idées.
Le silence lors des réunions est considéré comme un avis unanime.
La pensée de groupe se produit lorsqu’il y a peu de confiance et d’écoute au sein de l’équipe. C’est aussi quand chacun tire la couverture de son côté sans reconnaître la valeur de l’opinion de ses collègues.
En clair, moins l’équipe se connaît elle-même, plus le risque de pensée de groupe grandit.
Enrayer la pensée de groupe
Si vous percevez ces symptômes, vous devez commencer par réduire un maximum de biais :
Faire les réunions sans le leader d’équipe quand il a une trop grande influence hiérarchique.
Diviser votre équipe en plusieurs groupes de réflexion.
Inviter des experts extérieurs dans vos réunions.
Nommer un “avocat du diable” au sein de votre équipe pour provoquer les remises en question.
C’est une première tactique qui vous aidera à éviter les grandes erreurs comme celles de la NASA. Mais vous ne voulez pas seulement éviter les erreurs, vous vous aussi prendre les meilleures décisions possibles :
Stratégie de la diversité 🦋
La deuxième approche, complémentaire, est proposée par Cass Sunstein, philosophe et professeur à Harvard.
Elle consiste à créer des équipes qui ont une grande diversité de façons de penser. Par exemple des introvertis et des extravertis, des personnalités intuitives et des personnalités plutôt réalistes etc.
Ce sont des équipes où chacun connaît et valorise de l’ensemble des personnalités de ses coéquipiers. Vous devez par exemple savoir qui dans votre équipe est la personne la plus rationnelle, la plus empathique, la plus novatrice etc.
Identifiez la culture de votre équipe 🎨
Plus encore, vous devez aussi connaître la dynamique de votre équipe. Les travaux de recherche en cybernétique montrent en effet qu’il émerge une “personnalité de votre équipe” même si vous êtes très différents au sein de votre équipe.
C’est ce qu’on appelle aussi “la culture de votre équipe” et c’est elle qui façonnera inconsciemment vos décisions collectives.
Par exemple, si en moyenne votre équipe est créative, vous aurez tendance à minimiser les considérations pratico-pratiques, et ce même si votre propre personnalité de leader est très pragmatique.
C’est bien si vous brainstormez sur une nouvelle campagne marketing. Ça l’est moins si vous vous apprêtez à lancer une fusée.
Quand vous connaissez la dynamique de l’équipe, vous savez quels sont les avis dissidents à valoriser le plus, car ils voient ce que le groupe ne voit pas.
Une équipe hôtelière qui évite la pensée de groupe 🏰
Voici une équipe qui gère un château-hôtel :
La culture de cette équipe est très orientée vers les opérations et la gestion, comme l’indique le point rouge (analyse anthropologique réalisée avec Boussole).
Lors d’une prise de décision, le groupe a tendance à mettre l’accent sur la gestion des détails, la méthode des petits pas et avant tout la priorité sur la qualité du travail.
En clair, cette équipe a la culture du “doucement mais sûrement”, qui colle bien avec leur métier d’hôteliers.
Quand la crise du Covid est arrivée, tous les mariages et les séminaires d’entreprise ont été annulés. L’équipe a dû faire un choix.
Sa tendance naturelle était d’attendre un retour à la normale dans les prochains mois. Le consensus partait donc dans ce sens malgré les faits : pandémie mondiale, confinements, vaccin inexistant à ce moment-là etc.
Mais une voix dissidente s’est élevée, celle d’Émilie, créative. L’équipe l’a suivie dans la réinvention de leur modèle vers des expériences de retraites bien-être. Ce qu’elle n’aurait jamais fait si elle n’avait pas eu confiance en la valeur d’Émilie.
Leur travail est encore long, mais l’équipe a littéralement gagné un an d’avance par rapport à la concurrence qui attend encore le “retour à la normale”.
La pensée de groupe peut coûter non seulement de l’argent, mais aussi des vies. Moins vous avez conscience des prismes individuels et du prisme collectif, plus vous naviguez à vue. Si vous cherchez à innover en ce moment de crise, commencez déjà par éviter les erreurs de pensée de groupe. Mettez les moyens pour prendre des décisions de qualités et peut-être que, chemin faisant, vous atteindrez des résultats inespérés.
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